Mine de lithium dans l’Allier : entre impératif de souveraineté et conscience écologique
Une tension entre souveraineté et écologie. Depuis quelques jours, la presse bruisse depuis l’annonce de la future l’exploitation d’un gisement de lithium par la société Imerys sur son site d’Echassières, dans l’Allier. Une nouvelle diversement accueillie, qui symbolise à bien des égards les enjeux de souveraineté, de maîtrise de sa chaîne de valeur et de sécurisation de ses approvisionnements, qui s’imposent aux entreprises de France et rejaillissent sur toute la société.
Une aubaine pour la souveraineté de notre industrie
La société Imerys, multinationale française spécialiste de l’extraction et l’exploitation de minéraux industriels, emploie 17 000 personnes dans le monde et réalise un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros l’an dernier.
C’est donc un acteur majeur de l’industrie minière qui annonce un investissement de près d’1 milliard d’euros sur son site historique d’Echassières. Un site exploité depuis plus d’un siècle pour son kaolin d’une grande qualité, utilisé notamment pour produire de la céramique.
Le groupe a annoncé une production de 34 000 t de lithium par an dès 2028. Imerys ambitionne ainsi de devenir un fournisseur de premier plan du marché européen de batteries électriques. Une annonce appuyée par les soutiens de pas moins de 3 ministres : Bruno Le Maire (Economie), Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique) et Roland Lescure (Industrie).
Pourquoi un tel engouement de la part du gouvernement ? Parce que, faut-il le rappeler, le lithium est plus que jamais devenu un minerai stratégique dans le monde. C’est une matière première indispensable pour produire les fameuses batteries qui permettent de fournir l’énergie de nos produits électroniques. Ainsi que celles, bien plus volumineuses, des véhicules électriques.
Des constructeurs déjà engagés vers la fabrication de batteries sur le sol européen
L’Union européenne a acté la décision d’interdire la vente de voitures à moteurs thermiques (essence ou diesel) d’ici 2035. Les véhicules électriques sont donc amenés à remplacer les véhicules à moteurs thermiques au cours des prochaines années.
C’est ainsi que nos constructeurs européens, à la pointe du moteur thermique, se voient obligés de basculer vers une nouvelle technologie. Ceux-ci ont beau avoir anticipé le changement de marché en investissant massivement dans la conception et la production de voitures électriques depuis quelques années, les batteries qui les équipent proviennent essentiellement de Chine. Le pays produit en effet 75 % des batteries au lithium dans le monde, ce qui lui fournit un pouvoir d’influence énorme.
Des initiatives ont déjà été prises par les constructeurs automobiles européens afin de produire des batteries sur le sol européen. Le groupe Volkswagen a ainsi annoncé la construction de 6 « gigafactories » d’ici 2030. D’autres constructeurs ont préféré mutualiser les investissements, comme Stellantis et Mercedes qui se sont associés à TotalEnergies au sein de la co-entreprise AAC (Automotive Cells Company), et ont annoncé la construction d’une usine commune à Termoli en Italie.
Les constructeurs européens sont donc d’ores et déjà engagés dans la production de batteries en Europe. Mais à ce stade de production, il faut pouvoir assurer l’approvisionnement en matières premières, notamment en cobalt et en lithium. Or, aujourd’hui le lithium est très largement importé de l’étranger (Australie, Amérique du Sud, Chine).
Sécuriser les approvisionnements en matières premières afin de réduire notre dépendance vis-à-vis de l’étranger
Grâce à l’exploitation de ce gisement de lithium, Imerys annonce une capacité de production annuelle de 700 000 véhicules électriques. Un chiffre à mettre en perspective avec les 175 000 véhicules électriques vendue en France en 2021, pour 1,2 million en Europe.
Les crises actuelles et leurs conséquences (hausse des prix des denrées agricoles et pénuries, hausse des prix de l’énergie et problèmes d’approvisionnements, inflation généralisée) nous montrent à quel point la maîtrise de la production et des approvisionnements stratégiques sont clés. Cela permet de réduire son exposition aux risques, garantir la pérennité de son activité et sauvegarder un savoir-faire industriel. Savoir-faire que l’on sait difficile à réintégrer une fois qu’il a quitté le territoire.
L’annonce de l’exploitation d’une mine de lithium en France est donc vue comme le symbole de la réduction nécessaire de notre dépendance vis-à-vis de l’étranger. Ainsi qu’une solution à la transition énergétique indispensable.
Des inquiétudes relatives à l’impact écologique
L’étude des termes employés dans le communiqué de presse d’Imerys est révélatrice des risques déjà identifiés pour un tel projet, et de la conscience d’un débat entre souveraineté et écologie : « une réponse aux enjeux de transition énergétique et de souveraineté industrielle », « un projet responsable ».
C’est en effet l’enjeu de limitation de l’impact écologique que soulève cette annonce. Car l’extraction de lithium nécessite une grande quantité d’énergie, d’eau et de produits chimiques. Même si des mesures ont été annoncées par Imerys pour réduire au maximum son empreinte sur l’environnement, au moyen de l’utilisation de circuits d’eau fermés ou de transport par train notamment, et un approvisionnement en électricité « propre » grâce au parc nucléaire français.
Des mesures qui n’ont pas rassuré un certain nombre d’acteurs environnementaux qui ont réagi sur le sujet. Le président de France Nature Environnement pour la région Rhône-Alpes a ainsi déclaré ironiquement : « une mine propre, ça n’a jamais existé. Les risques de pollution des eaux, des sols et de l’air sont réels. »
Souveraineté et écologie : n’est-il pas hypocrite de refuser de produire ce que l’on importe ?
Ces réactions, naturelles et compréhensibles, sont emblématique des questionnements de notre époque. Et des tensions inhérentes entre nécessaire souveraineté économique et industrielle, et réduction de notre empreinte environnementale.
Mais peut-on refuser d’exploiter une mine de lithium sur notre territoire, tout en continuant d’en importer de Chine ? Ne serait-ce pas hypocrite de refuser de produire chez nous une matière première indispensable, que nous serions quand bien même obligés d’importer de l’étranger ?
Un tel projet doit constituer une tentative ambitieuse de répondre à ce double enjeu de souveraineté et de durabilité. N’est-il pas plus raisonnable de contrôler les techniques et moyens de production sur notre sol, plutôt que de nous en remettre à des exploitants miniers à l’autre bout du monde sur lesquelles nous n’avons aucun moyen de pression ?
A retenir :
- Les revendications écologiques sont naturelles et l’impératif économique n’exonère pas des mesures de précaution les plus strictes pour un tel projet. Ce débat entre souveraineté et écologie nous montre que l’on ne peut plus envisager un tel projet sans apporter des garanties de durabilité.
- Alors que la voiture électrique est amenée à remplacer les véhicules thermiques, les constructeurs européens ont déjà tous des programmes plus ou moins avancés de production de véhicules électriques.
- Si les batteries sont majoritairement importées de Chine, des initiatives ont déjà été prises pour développer leur production sur le sol européen. Mais maîtriser la production de batteries ne suffit pas, il faut également maîtriser les approvisionnements en matières premières.
- C’est donc dans ce cadre que l’annonce d’Imerys est intéressante, car elle est vue comme un moyen de sécuriser nos approvisionnements et réduire notre dépendance vis-à-vis de l’étranger. Un nouvel exemple qui démontre qu’accroissement de la souveraineté et maîtrise des filières vont de pair…
- Les revendications écologiques sont naturelles et l’impératif économique n’exonère pas des mesures de précaution et de durabilité les plus strictes pour un tel projet. Ce débat entre souveraineté et écologie nous montre que l’on ne peut plus envisager un tel projet sans apporter des garanties de durabilité.